Extrait Eduardo HALFON
Eduardo HALFON
Saturne
traduit de l’espagnol (Guatemala) par Françoise GARNIER
ISBN 978 2 911686 72 6
2011
15 €
Vos lettres, père, me parvenaient deux fois par an. J’étais loin, à l’université, mais vous, vous, étiez plus loin de moi encore. Au début, naïvement, j’ouvrais l’enveloppe avec une émotion retenue. Et, toujours, immanquablement, j’y trouvais une page pliée en trois. Une simple page à l’en-tête de votre entreprise. Mal pliée, à la va vite, j’imagine. Je guettais vos mots, père, j’en avais besoin et je la dépliais cette page, avec impatience. Et telle une feuille morte se balançant dans la brise, lentement, le chèque tombait à terre. Je l’y laissais, n’y attachant pas plus d’importance qu’à mes pieds, car ce qui m’intéressait avant tout, ce n’était pas votre argent, père, mais vos mots. Naïvement, je guettais vos mots. Et au milieu de cette feuille, écrit à l’encre noire, je trouvais toujours la même chose : votre nom. Rien d’autre. Juste votre nom, signé à la hâte. Un mot. Juste un mot. Le père est un nom.
C’est sans doute pour cela que j’écris, ou plus exactement, c’est peut-être pour cela que j’ai besoin d’écrire.
À l’enterrement de Klaus Mann, le seul qui soit venu c’est son jeune frère, Michael, il portait dans sa main droite un mystérieux étui. C’était l’été 1949. Son père avait reçu le Prix Nobel de Littérature vingt ans auparavant.
Comme il l’avait écrit dans son essai Selbstmörder, où il évoquait « non sans une amère jalousie » les suicides de personnes qu’il avait connues, Klaus lui-même décida, pour la seconde fois, de mettre fin à ses jours. Lors de sa première tentative, dix mois plus tôt, il s’était coupé les veines des deux poignets, avait avalé des cachets et respiré des gaz toxiques. Mais ce fut un échec. Le motif présumé : les infidélités de son amant, un jeune marin. Lors de la seconde tentative, pendant ses vacances à Cannes, il ingéra avec plus de succès une dose mortelle de somnifères.
(traduit de l’espagnol par Françoise GARNIER)
Sus cartas, padre, me llegaban un par de veces cada año. Yo estaba lejos en la universidad ; pero usted estaba aún más lejos de mí. Al inicio, ingenuo, yo abría el sobre con una emoción contenida. Y, siempre, sin falta, hallaba un papel doblado en tres. Un solo papel con el membrete de su empresa. Mal doblado, por prisa, supongo. Buscando sus palabras, padre, necesitándolas, lo desdoblaba con ansia. Y como una hoja seca hamaqueándose en la brisa, lento, el cheque caía hacia el suelo. Lo dejaba allí, casi olvidado a la par de mis pies, pues lo que realmente me interesaba no era su dinero, padre, sino sus palabras. Ingenuo, buscaba sus palabras. Y en medio del papel, escrito en tinta negra, encontraba yo siempre lo mismo : su nombre. Nada más. Sólo su nombre, firmado con prisa. Una palabra. Sólo una palabra. El padre es un nombre.
Quizás por eso escribo, o mejor dicho, quizás por eso necesito escribir.
Al sepelio de Klaus Mann sólo llegó Michael, su hermano menor, cargando en la mano derecha un misterioso estuche. Era el verano de 1949. Su padre había recibido el Premio Nobel de Literatura veinte años atrás.
Como había escrito en su ensayo Selbstmörder, en donde narraba con « envidia tan amarga » los suicidios de varias personas que él había conocido, Klaus mismo decidió, por segunda vez, terminar su vida. Su primer intento había ocurrido diez meses atrás, en California, cortándose las venas de ambas muñecas, tomando pastillas y respirando gases tóxicos. Pero fracasó. Supuesta causa : las infidelidades de su amante, un joven marinero. En su segundo intento, mientras pasaba las vacaciones en Cannes, ingirió exitosamente una dosis letal de somníferos.