Extrait Roberto Ferrucci
Roberto FERRUCCI
Sentiments subversifs
traduit de l’italien par Jérôme Nicolas
ISBN 978 2 911686 70 2
2010
15 €
Chaque fois que je reviens ici, au dixième étage du Buil-ding, la vieille table est coincée entre la colonne et le mur de la terrasse, son plateau replié en deux. Elle porte la saleté du temps, dont je suis maintenant convaincu qu’il correspond à celui de mes absences. Malgré ses dimensions elle est très lourde, ce qui vaut plutôt mieux vu le vent qui souffle par ici, sauf quand vient le moment de la déplacer. Chaque fois que je reviens ici, je prends cette petite table, je l’ouvre, je la nettoie, je la recouvre avec la natte de plage que j’ai trouvée dans le placard de l’entrée, et je transforme l’en-semble en un parfait bureau que j’utilise le plus souvent pos-sible, chaque fois que je reviens ici. Mais la première fois c’était en hiver et cette petite table, je l’ai seulement nettoyée et je ne m’en suis jamais servie. Pas sur la terrasse, en tout cas. J’ai toujours voulu avoir une terrasse où écrire et celle-ci, en plein en face de la Loire, en plein à côté de l’Océan, en plein au-dessus du port de Saint-Nazaire, tellement haute et avec le monde entier alentour, ressemble exactement à l’idéal de toutes les terrasses. D’ici, on voit les trois kilomètres du pont de Saint-Nazaire à gauche, le vieux phare breton – juste là, de-vant, vous voyez, je l’indique, là-bas – et puis Saint-Brévin en face, sur l’autre berge du fleuve, voilà, là-bas, un peu plus à droite. En bas, le petit quartier du Petit Maroc et – autant que je le dise tout de suite – personne n’a été capable de m’expliquer pourquoi on l’appelle le Petit Maroc. Encore plus à gauche, parallèle au Building, le port de Saint-Nazaire, avec des bateaux en construction, en réparation, des cheminées industrielles, des grues, de la fumée. Quand je suis arrivé ici, la première fois, je me suis rendu compte que si au cours de votre vie vous avez habité, vous habitez et vous habiterez, en général, beaucoup de maisons, je me suis aperçu que parmi celles-ci, il y a d’une part la maison où vivre, d’autre part la maison de l’être. Et il vaut mieux que cette dernière ne coïncide pas avec votre habitation. C’est plutôt un sentiment. Vous sentez que c’est l’endroit. Pas nécessairement où vivre, mais certainement celui où revenir le plus souvent possible. Et puis je me suis dit que ce sont là des considérations qui sont liées à mon métier, à l’écriture, peut-être. Que c’est l’écriture qui détermine ce sentiment. Me voici donc de nouveau ici et je ne me souviens pas com-bien de fois ça fait. Cinq fois, six fois, je ne sais pas. Et donc, la première fois que je suis arrivé ici, ça n’a pas été seulement une perception visuelle, mais une sensation. Ça, c’est la mai-son, ai-je tout de suite pensé, pas forcément la mienne, de maison, ni accessible à volonté, partagée avec des dizaines d’autres écrivains avant moi, encore autant après moi, invi-tés à faire dans cet appartement, ou sur cette terrasse, exac-tement ce que je suis en train de faire, maintenant, vous voyez, sur la terrasse, l’iPad sur la petite table nettoyée et bien rangée, un carnet pour prendre des notes, un stylo, une carafe d’eau et un verre. Écrire.
traduit de l’italien par Jérôme Nicolas
Ogni volta che ritorno qui, al decimo piano del Building, il vecchio tavolino è come al solito incastrato fra la colonna e la parete della terrazza, la superficie ripiegata in due. Ha addosso lo sporco del tempo che, ormai, mi sono convinto coincida con le mie assenze. Nonostante le dimensioni, è pesantissimo, il che, con il vento che spesso tira da queste parti, non nuoce affatto se non quando arriva il momento di spostarlo. Ogni volta che ritorno qui, prendo il tavolino, lo apro, lo pulisco, lo ricopro con la stuoia da spiaggia che ho trovato dentro all’armadio dell’entrata, e trasformo l’insieme in un perfetto scrittoio che, ogni volta che ritorno qui, utilizzo più che posso. La prima volta, però, era inverno, e il tavolino l’ho soltanto pulito e mai usato. Non in terrazza, almeno. Ho sempre desiderato avere una terrazza dove scrivere, e questa, così in faccia alla Loira, così accanto all’Oceano, così sopra al porto di Saint-Nazaire, così in alto e con tutto il mondo intorno, sembra l’ideale di tutte le terrazze. Da qui vedi i tre chilometri del Ponte di Saint-Nazaire, a sinistra, il vecchio faro bretone, – giusto qua davanti, lo sto indicando, vedete – e poi Saint-Brévin, di fronte, sull’altra sponda del fiume, ecco, lì, un po’ più a destra. Qua sotto, il piccolo quartiere del Petit Maroc che – meglio dirlo subito – nessuno ha saputo dirmi perché si chiami Petit Maroc. Ancor più a sinistra, parallelo al Building, il porto di Saint-Nazaire, con navi in costruzione, in riparazione, ciminiere, gru, fumi. Quando ci sono arrivato, la prima volta, mi sono reso conto che se nella tua vita sono tante, di solito, le case che hai abitato, che abiti, e che abiterai, mi sono accorto che fra queste da una parte c’è la casa dello stare, dall’altra la casa dell’essere. Quest’ultima, è meglio non coincida con casa tua. È piuttosto un sentimento. Senti che questo è il luogo. Non necessariamente dove vivere ma, di sicuro, dove ritornare quanto più di frequente possibile. Poi ho pensato che queste sono considerazioni legate al mio mestiere, alla scrittura, forse. Che è la scrittura, a determinare questo sentimento. Perciò sono di nuovo qui, e non ricordo più che volta è questa. La quinta, la sesta, non so. La prima volta che ci sono arrivato non è stata solo una percezione visiva, dunque, ma un sentire. Questa è la casa, ho pensato subito, non per forza mia, la casa, né raggiungibile a piacimento, condivisa con decine di altri scrittori prima di me, altrettanti dopo di me, invitati a fare dentro a questo appartamento, o su questa terrazza, proprio quello che sto facendo io, adesso, vedete, in terrazza, l’iPad sopra al tavolino ripulito e ordinato, un taccuino di appunti, una penna, una caraffa d’acqua e un bicchiere. Scrivere.
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