Extrait Giancarla DE QUIROGA

Giancarla DE QUIROGA
Une chambre à soi à Saint-Nazaire
traduit de l’espagnol (Bolivie) par Colette Le Goff
ISBN 2-903945-75-6
1996
11 €


J’arrivai à Saint-Nazaire une nuit de novembre. J’ouvris la porte du balcon de l’appartement et je fus éblouie par l’éclat des lumières du port : lueurs vives des grues, scintillements d’invisibles bateaux glissant sur la mer, pulsations phosphorescentes du phare d’en face. Le vent me décoiffa puis déposa sur mes lèvres un baiser salé.
Je ne parvins pas à trouver le sommeil, je suis habituée à dormir sur un matelas dur, mon nouveau lit est mou, creux, inutilement conjugal. Il garde la mémoire des corps, des amours, des insomnies et même des rêves de ses précédents occupants, il est fatigué de supporter le poids de tous ces souvenirs.
Je pensai à ma famille, là-bas, si loin. Je ne voulus pas céder à la tentation de la nostalgie.
En outre, la sensation de liberté, l’excitation et l’euphorie qui m’envahissaient, étaient plus fortes que la fatigue due à mon long et pénible voyage. Sans compter la douleur de la blessure... La nuit précédant mon départ, j’avais eu une crise d’appendicite et on m’avait opérée d’urgence, sous anesthésie générale. Pour rien au monde je n’aurais renoncé à l’invitation de la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs de Saint-Nazaire, trois jours plus tard je partais.
Je me lève et observe dans le miroir le sourire horizontal de ma cicatrice. C’est rare une appendicite à mon âge, mais les anachronismes me poursuivent : il y a peu de temps, il m’est venue une dent de sagesse.
Je parcours toutes les pièces et le bonheur m’envahit. « La chambre à soi », que réclamait Virginia Woolf pour les femmes écrivains, est un appartement tout entier. J’habiterai là pendant un mois. La Maison : temps, espace, intimité et liberté pour écrire, solitude choisie. Je rêve, peut-être ? Je sors sur le balcon les lumières sont toujours là.

traduit de l’espagnol (Bolivie) par Colette Le Goff

Llegué a Saint-Nazaire una noche de noviembre. Abrí la puerta de la terraza del departamento y me deslumbraron los resplandores de las luces del puerto : fulgores de grúas, destellos de barcos imperceptibles deslizándose en el mar, pulsaciones fosforescentes del faro de enfrente. El viento me despeinaba y dejó en mis labios un beso de sal.
No pude conciliar el sueño, estaba acostumbrada a un lecho duro, en cambio mi nueva cama es blanda, hundida e inútilmente matrimonial. Conserva la memoria de los cuerpos, los amores, los insomnios y hasta de los sueños de sus anteriores ocupantes, está cansada de soportar tantos recuerdos.
Pensé en mi familia, allá, muy lejos. No quise ceder a la tentación de la nostalgia.
Además no pude dormir porque la sensación de libertad, la excitación y euforia que me embargaban, eran más fuertes que el cansancio por el largo y azaroso viaje. Sin contar el dolor de la herida... La noche antes de partir tuve un ataque de apendicitis y me operaron de urgencia, con una anestesia profunda. Por nada del mundo iba a renunciar a la invitación de la Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs de Saint-Nazaire, y tres días después emprendí el viaje.
Me levanto y observo en el espejo la sonrisa horizontal de mi cicatriz. No es frecuente una apendicitis a estas alturas de la vida, pero los anacronismos me persiguen, hace poco ne salió una muela del juicio.
Recorro todos los cuartos y me lleno de felicidad. « La habitación propia » que reclamaba Virginia Woolf para las escritoras, es todo un apartamento. Será mi morada durante un mes. La Maison tiempo, espacio, intimidad y libertad para escribir, soledad elegida. ¿No estaré soñando ? Salgo a la terraza las luces continúan allí.