Ceci n’est pas une boîte de Pandore
Sara ROSENBERG
Ceci n’est pas une boîte de Pandore
traduit de l’espagnol (Argentine) par Belinda Corbacho Martinez
ISBN : 978-2-911686-91-7
ISSN : 1773-5181
2013
15 €
166 pages
Scène I
Deux hommes habillés en combinaison de travail entrent en scène en traînant sur un socle à roulettes une grosse boîte, sur laquelle on peut lire www.humanitary.com. Ils hésitent et ils se demandent par gestes où est le centre. L’action est précise : ils mesurent et contrôlent avec rigueur l’emplacement. Lumière neutre.
Premier. — (Il sort un document de sa poche et cherche quelqu’un qui puisse le signer.) Y a-t-il quelqu’un ici ?
Second. — (Regardant sa montre.) Bientôt onze heures…
Premier. — Il faut que quelqu’un signe.
Second. — Dans cette section, on en a licencié plein. Et il est bientôt onze heures…
Premier. — On ne peut pas la laisser… C’est écrit là : « Transfert de la section 3 à la section 12, avec signature à la livraison. »
Second. — Elle ne va pas disparaître… Le monde est l’entreprise et l’entreprise est le monde.
Premier. — Ne commence pas… C’est bien marqué là : signature à la livraison.
Second. — Mais oui. Notre travail est de la livrer, ce qui est fait. Si tu veux, moi je fais le gribouillis, après tout je suis un employé de l’entreprise. Y a-t-il quelqu’un qui ne soit pas un employé de l’entreprise ?
Premier. — Tu es fou… Ils vont nous tomber dessus.
Second. — Ils nous mettront dehors tôt ou tard. Allons prendre un verre, la convention collective nous donne droit à une demi-heure de pause à onze heures.
Premier. — Il n’y a plus de convention, ne sois pas stupide ou on va se retrouver à la rue. (Il crie.) Il y a quelqu’un ? (Il va et vient en cherchant, les papiers à la main.) Eh ! Y a-t-il quelqu’un qui puisse réceptionner cette caisse de la section 3 ?
Second. — Il regarde sa montre. Il sort des biscuits de sa poche. Il les prend dans une petite boîte, retire leur emballage (ils sont enveloppés dans du papier) et se parle à lui-même tandis que Premier attend et cherche quelqu’un du regard. Une demi-heure de pause. Des siècles de lutte pour obtenir ça. On a rallongé notre temps de travail, mais on a baissé nos salaires de dix pour cent. On nous avait dit qu’on ne serait pas touchés parce que les boîtes sont indispensables. Qui n’a pas besoin d’une boîte ? Une boîte à chaussures, une boîte où ranger des machines à laver, des livres, des bouteilles, des gâteaux, du linge. Les boîtes sont essentielles et il y aura toujours quelqu’un qui aura besoin d’une boîte. Une boîte c’est comme du pain, on l’utilise tous les jours. L’emballage parfait… notre usine ne fermera jamais… tout peut être emballé, tout peut être dissimulé… rien n’est, ni ne doit être ce qu’il est si ce n’est un emballage. Emballez. Emballé, c’est pesé !
Il cherche un endroit où jeter l’emballage en papier des biscuits et finalement le range dans sa poche.
Premier. — Tu commences à me fatiguer avec ta rengaine, mon vieux.
Second. — On va nous retirer jusqu’au droit de pisser. On va devoir pisser dans une poche accrochée à la ceinture, tu verras… Ton urine sera aussi emballée pour que tu ne perdes pas de temps. Emballée sous vide, technologie de pointe pour emballage d’urine… poches de toutes les couleurs aux motifs divers… « Aide la planète, pisse dans nos poches biodégradables. »
Premier. — Tais-toi, recommence pas le même refrain. Il faut trouver quelqu’un qui signe. Il est tard.
Second. — Évidemment, et en plus, c’est de notre faute. Ce que nous faisions avant à quatre-vingt, aujourd’hui vingt personnes le font et pour moins d’argent. Et nous disons merci pour le boulot et pour les dettes. Consommateurs du monde entier, unissez-vous ! Génial ! (Il mange ses biscuits.) Et tu en as marre des discours, fais pas chier. Prends ta demi-heure. Ou t’as pas encore compris qu’ils ont assez de boîtes pour remplir la planète.
Premier. — Ce n’est pas vrai. Les boîtes sont absolument nécessaires, elles se cassent et se recyclent à l’infini, sans nos boîtes il ne pourrait y avoir ni industrie, ni commerce.
Second. — Pourquoi dis-tu « nos » ?, ce sont leurs boîtes, leur industrie, pas la nôtre. Demain, ils te foutront à la rue et ils en embaucheront un autre qui acceptera encore moins d’argent. Il y en a des milliers et des milliers qui attendent. Ils arrivent en troupeaux du monde entier, plus affamés que nous avec sur les talons le bruit des bombes qui les rattrape. Hier, j’ai rencontré un type sympa du Nigéria, instituteur de son métier, mais qui était en train de vendre des lunettes de soleil à trois euros. Nous avons discuté un moment et il m’a dit que pour cinq euros de l’heure, il serait prêt à faire n’importe quoi, trois euros à envoyer à sa famille, deux pour mal vivre… tout a été parfaitement organisé par le capital. Qu’est-ce que je pouvais bien lui dire, il n’allait pas s’apitoyer sur notre sort, alors je lui ai acheté une paire de lunettes, je l’ai invité à boire une bière et je lui ai donné une accolade en lui souhaitant bonne chance parce que…
Premier. — Arrête ! Tant que je pourrai, je conserverai mon emploi. Moi aussi, j’ai une famille et des dettes.
Second. — (Il a fini de manger.) Il faut faire une grève générale internationale, mon frère. Ou ils nous presseront comme des citrons jusqu’à la dernière goutte et ils connecteront notre cerveau à la télévision avec des tickets mensuels pour l’alcool, pour que nous attendions la mort sans même nous rendre compte de l’endroit où nous sommes. Ils l’ont déjà fait avec les Indiens d’Amérique du Nord en les mettant dans des réserves et en ne leur donnant des bons que pour l’alcool.
traduit de l’espagnol (Argentine) par Belinda Corbacho Martinez
1º escena
Dos hombres vestidos con overoles entran en escena trayendo una gran caja donde se lee www.humanitary.com, sobre una base con ruedas. Dudan, y con gestos discuten cuál es el centro. La acción es rigurosa, miden y controlan con cuidado la ubicación. Luz neutra.
Primero. — (Saca un papel de su bolsillo, busca a alguien para que lo firme.) ¿Hay alguien aquí ?
Segundo. — (Mirando su reloj.) Van a ser las once…
Primero. — Alguien tiene que firmar.
Segundo. — En esta sección echaron a muchos. Y van a ser las once…
Primero. — No podemos dejarla… Aquí lo dice : « Traslado de la sección 3 a la sección 12, con firma a la entrega. »
Segundo. — No se puede perder… El mundo es la empresa y la empresa es el mundo.
Primero. — No empieces… aquí dice claramente : firma a la entrega.
Segundo. — Eso. Nuestro trabajo es entregarla y está cumplido. Si quieres hago yo el garabato, soy un empleado de la empresa. ¿Hay alguien que no sea un empleado de la empresa ?
Primero. — Estás loco… Se nos echarán encima.
Segundo. — Nos echarán hoy o mañana. Vamos a tomar algo, son las once, por convenio tenemos media hora de descanso a las once.
Primero. — Ya no hay ningún convenio, no seas huevón o nos quedaremos en la calle. Grita. ¿Hay alguien aquí ? Busca, va y viene con los papeles en la mano. Al fondo. Eeeee, ¿Hay alguien que pueda recibir esta caja de la sección 3 ?
Segundo. — Mira el reloj. Saca unas galletas del bolsillo, las saca de una cajita, y les quita el papel (están envasadas con dos papeles) y habla consigo mismo, mientras Primero espera y busca con la mirada. Media hora de descanso. Siglos de lucha para conseguir esto. Alargaron los horarios y nos bajaron el 10 % del salario. A nosotros no nos va tocar, dijeron, las cajas son necesarias, quién no necesita una caja, una caja de zapatos, una caja para guardar lavadoras, libros, botellas, pasteles, ropa, las cajas son elementales y siempre habrá quien necesite una caja. Una caja es como el pan, se usa todos los días. El envase perfecto… nuestra fábrica no cerrará jamás… todo se envasa, todo se oculta… nada es ni debe ser lo que es, sino su envase. Envase. Envásese y véndase !
Busca donde tirar los papeles de las galletas y por fin se los guarda en el bolsillo.
Primero. — Me estás poniendo enfermo con ese retintín, Viejo.
Segundo. — Te van a quitar hasta el derecho a mear. Vas a mear en una bolsa atada a la cintura, ya verás… te envasarán el pis también, para que no pierdas tiempo. Envasado al vacío, tecnología punta para envases de pis… bolsas de colores con diversos motivos… « Ayuda al planeta, mea en nuestras bolsas biodegradables ».
Primero. — Cállate. No empieces con lo mismo. Hay que encontrar a alguien que firme. Es tarde.
Segundo. — Claro, y nosotros tenemos la culpa. Lo que antes hacíamos ochenta, hoy lo hacen veinte y por menos dinero. Agradecemos el empleo y las deudas. ¡Consumidores del mundo, uníos ! Genial. Come las galletas. Y te hartan los discursos, no me jodas. Usa tu media hora. O no te has enterado que tienen un stock de cajas como para llenar el planeta.
Primero. — No es cierto, las cajas son absolutamente necesarias, se rompen y se reciclan siempre, no podría haber industria ni comercio sin nuestras cajas.
Segundo. — Por qué dices « nuestras », son sus cajas, su industria, no la nuestra. Mañana te pondrán en la puta calle y contratarán a otro que acepte menos dinero todavía. Hay miles y miles esperando. Llegan en manadas de todo el mundo con más hambre atrasada que nosotros… y con el ruido de las bombas en los talones. Ayer me encontré con un tipo de Nigeria, simpático, era maestro pero estaba vendiendo anteojos a tres euros. Conversamos un rato, y me dijo que por cinco euros la hora sería capaz de cualquier cosa, tres euros para mandar la familia, dos para mal vivir… el capital lo ha organizado bien, qué iba contestarle, no podía darnos el pésame, así que le compré los anteojos, lo invité a una cerveza y le di un abrazo deseándole buena suerte porque…
Primero. — ¡Basta ! Mientras pueda voy a conservar mi empleo. Yo también tengo familia y deudas.
Segundo. — Ha terminado de comer. Hay que hacer una huelga general internacional, hermano. O nos exprimirán hasta la última gota y nos conectarán el cerebro directamente a la televisión con un bono de alcohol mensual, para esperar la muerte sin darnos cuenta ni dónde estamos. Ya lo hicieron con los indios en Norteamérica, los metieron en reservas y les dieron bonos sólo para alcohol.