Extraits revue meet n°14

Peter Terrin

Blanco (extrait)

1

Helena fut enterrée le lendemain de la Toussaint.
Beaucoup de gens qui, à cause du temps de tempête de ces derniers jours de fête, étaient restés chez eux, apportaient aujourd’hui leurs chrysanthèmes blancs et jaunes. Viktor se sentait floué ; l’enterrement, dans la nouvelle partie juste à côté du portail, ressemblait vraiment à un coup de pub pour le cimetière : du chagrin tout frais en prime pour les retardataires, afin que leur petite visite annuelle aussi puisse se dérouler correctement.
Les quatre hommes laissèrent filer la corde. Ils étaient formés à leur tâche, le cercueil de chêne s’enfonça solennellement dans la tombe parfaitement rectangulaire.
Eveline, sa sœur, porta un mouchoir à son visage.
Du coin de l’œil, Viktor remarqua une hésitation chez les passants de l’allée centrale. De temps à autre lui parvenait une bouffée de parfum de femme, fort et fleuri, dans lequel les enfants se sentent pendant des années protégés, à l’abri.
Les parents d’Helena se prirent furtivement la main, tandis qu’ils restaient plantés là, au garde à vous, le regard sur infini. À droite, le curé marmonnait en lui-même, les yeux fermés. Il tenait à deux mains une bible devant son sexe. Il avait des gros doigts aux phalanges couvertes de poils noirs, l’un d’eux était glissé avec obscénité entre les pages à tranche dorée. Viktor comprit que cette scène allait inévitablement demeurer en lui jusqu’à sa mort. Il lui apparut que la vie d’un homme est pleine à craquer de souvenirs imposés par les circonstances.
Le cercueil s’immobilisa au fond de la tombe. Les quatre hommes redressèrent le dos et reculèrent humblement.
Il y eut un silence. On attendait le curé.
Les talons du dimanche qui vont et viennent sur l’asphalte.
Viktor se pencha en avant. Le trou, profond d’au moins deux mètres, avait des parois verticales, pas un mince travail. Il s’agenouilla pour pouvoir bien regarder. Le monde se porterait mieux si tout le monde s’acquittait de sa tâche avec fierté et dévouement.

Blanco (fragment)

1

Helena werd begraven de dag na Allerzielen.
Veel mensen die met het stormweer van de voorbije hoogdagen thuis waren gebleven, droegen vandaag hun gele en witte chrysantbollen aan. Viktor voelde zich bekeken ; de begrafenis, op het nieuwe deel vlak bij de toegangspoort, leek wel een stunt van het kerkhof : dagvers verdriet, speciaal voor de laatkomers, opdat ook hun jaarlijks bezoekje stemmig plaats kon vinden.
De vier mannen vierden het touw. Ze waren onderlegd in hun vak, de eikenhouten kist zakte plechtig in het volmaakt rechthoekige graf.
Eveline, zijn zus, bracht een zakdoek naar haar gezicht.
Vanuit zijn ooghoek merkte Viktor een aarzeling bij de passanten op het middenpad. Af en toe bereikte hem een zweem van vrouwenparfum, sterk en fleurig, waarin kinderen zich jarenlang geborgen en veilig wanen.
De ouders van Helena namen heimelijk elkaars hand vast, terwijl ze onbeweeglijk in het gelid bleven staan, blik op oneindig. Rechts sloot de pastoor zijn ogen en prevelde in zichzelf. Hij hield met beide handen een bijbel voor zijn schaamstreek. Hij had dikke vingers met zwartbehaarde kootjes, één ervan stak obsceen in de vergulde bladsnee. Viktor begreep dat dit beeld hem onvermijdelijk tot zijn dood zou bijblijven. Het kwam hem voor dat een mensenleven barst van herinneringen die door omstandigheden worden opgedrongen.
De kist kwam tot rust op de bodem van het graf. De vier mannen ontspanden de rug en stapten nederig achteruit.
Het bleef een tijd stil. Het wachten was op de pastoor.
Zondagse hakken af en aan op het asfalt.
Viktor boog zich voorover. De kuil had loodrechte wanden en was minstens twee meter diep, beslist geen eenvoudige klus. Hij knielde om goed te kunnen kijken. De wereld zou er stukken beter op worden als iedereen met trots en toewijding zijn werk uitvoerde.

Anton Outkine

Nastenka

Le train ralentit et, à nouveau, entra dans une gare. Celle-ci portait bien sûr un nom, mais Evguénia Stanislavovna avait raté le bâtiment vert pâle aux hautes fenêtres en arc quand il avait lentement glissé derrière la fenêtre. Le soir tombait. Quelques vieilles voitures et un autobus PAZ fatigué attendaient sur la place. Des petits tilleuls aux branches nues la séparaient d’une rangée de maisons couvertes d’ardoise grise. Evguénia Stanislavovna se rendait à Touapsé chez sa sœur. Voilà neuf ans qu’elle n’était pas allée plus loin que sa maison de campagne à Golitsino, et elle constatait maintenant de ses propres yeux à quel point et à quelle vitesse le pays s’était dégradé. Elle était frappée par le laisser-aller général qui touchait les transports, les immeubles et, surtout, les gens. Mais quelques rares individus se détachaient de la masse grise et lasse, brillaient comme des paillettes dorées dans une roche. Comme si les autres avaient tout raté et qu’eux avaient réussi, et débordaient de suffisance, étincelaient de propreté. Son voisin de compartiment était de cette espèce. C’était un homme replet, d’âge moyen, qui feuilletait sans la moindre gêne des journaux qu’Evguénia Stanislavovna aurait eu honte ne serait-ce que de toucher.

Dans le compartiment, les tables n’étaient pas mises, personne ne servait le thé, il y avait simplement une grande bouilloire et les gens venaient avec leur tasse chercher de l’eau chaude. Pour autant qu’elle se souvienne, une telle négligence n’avait existé qu’après-guerre, et encore, cela n’avait pas duré très longtemps. Il y avait aussi dans le compartiment un jeune homme et une jeune fille qui auraient pu être ses petits-enfants. Evguénia Stanislavovna fut déconcertée quand elle vit combien ses compagnons de voyage étaient renfermés et peu loquaces. À toutes ses tentatives pour engager la conversation, ils répondaient évasivement et par monosyllabe, au prix d’un effort tel qu’il les faisait grimacer. Voilà qui étonnait aussi Evguénia Stanislavovna. Il n’y a pas si longtemps, tout était différent, et les gens qui voyageaient ensemble se séparaient bons amis et échangeaient leurs adresses. Un peu avant la gare, les deux jeunes avaient quitté le wagon, sans doute pour aller au restaurant, et elle était restée seule avec l’amateur de journaux indécents. Elle n’avait pas envie de lire, et elle était mal à l’aise de rester là, en silence, comme dans une chambre, avec cet inconnu peu engageant. C’est pourquoi elle se réjouit quand le train s’arrêta.

Антон Уткин

Насtенька

Поезд сбавил ход и подошел ещё к какой-то станции. Конечно, станция была не какой-то, а имела название, но Евгения Станиславовна упустила ее салатовое здание с высокими арочными окнами, медленно проплывшее в припылившемся окне. Шло к вечеру. На площади стояли несколько старых легковых автомобилей и разношенный автобус « ПАЗ ». Невысокие облетевшие липы отделяли от неё ряд одноэтажных жилых домов, крытых серым шифером. Евгения Станиславовна ехала в Туапсе навестить сестру. Вот уже девять лет она не ездила никуда дальше дачи в Голицино, и теперь могла воочию убедиться, как быстро и необратимо опускалась страна. Поражала какая-то общая неопрятность и транспорта, и строений, и прежде всего людей. Но в общей довольно серой и унылой массе, как в породе, фальшивым золотом сверкали редкие одиночки. Словно у всех отнималось, а давалось этим немногим, и уже они одни сочились довольством и сверкали чистотой. Таким был её сосед по купе. Это был упитанный средних лет мужчина, листавший без стеснения такие газеты, которые Евгения Станиславовна погнушалась бы просто взять в руки.
Столики в купе не были застелены, чай не носили, а просто топили титан, и все ходили за кипятком со своей посудой. На её памяти так потерянно было все только после войны, да и то не слишком долго. Ещё в купе ехали двое молодых людей : юноша и девушка, годившиеся ей во внуки. Евгению Станиславовну поразило, что попутчики её были какие-то замкнутые, неразговорчивые, на все её попытки завязать разговор отвечали односложно и уклончиво, и от этих попыток на их лицах проступало неподдельное мучение. И это изумляло Евгению Станиславовну. Ведь ещё недавно всё было совсем не так, и люди, которые вместе совершали путешествие, расставались друзьями и даже обменивались адресами. Незадолго до станции юноша с девушкой удалились, наверное, в ресторан, и она осталась с любителем неприличных газет. Читать ничего не хотелось, а сидеть молча, как в камере, с незнакомым неприветливым человеком было ей неуютно, и поэтому она обрадовалась остановке.