Extrait Juan Carlos MONDRAGON

Juan Carlos MONDRAGON
Le centre de Carène
traduit de l’espagnol (Uruguay) par Annie Morvan
ISBN 978 2 911686 73 3
2011 (réimpression de 1991)
15 €

Il arriva en chemin de fer un dimanche de novembre de l’année dernière, par le train de 23 h 47 en provenance de Paris. Personne ne l’attendait ni sur le quai, ni dans le hall, ni dans la ville où il était enfin. Il fut parmi les derniers à descendre du wagon et à rejoindre le hall par un escalier mécanique lent et jaune. À cette heure-ci, les baisers de bienvenue sont à peine émus, et porter les bagages des nouveaux arrivants n’est que le réflexe de mains en attente : du fond de son silence, l’homme observa la hâte des autres pour retrouver leurs voitures stationnées alentour, la précipitation d’une femme pour obtenir un numéro dans une des cabines téléphoniques de la salle d’attente afin de prévenir d’une arrivée sans encombre. Comme pour neutraliser l’éloignement progressif des inconnus qui lui avaient tenu compagnie pendant les deux heures et demie du voyage, il s’imagina à un moment important de sa vie et s’en laissa convaincre par la subtile magie lovée dans toute ville où l’on arrive pour la première fois mais ces convictions ne reposant jamais sur d’évidentes raisons d’appréhension immédiate, il évita de trop savourer l’idée de prodiges faciles et choisit le refuge d’une prudence plus appropriée à sa condition d’étranger, se soumettant de bon gré au privilège d’arriver dans un lieu alors que la nuit prodigue à l’idée de destin une texture différente et permet d’imaginer l’imprévu pouvant surgir le lendemain : expectatives aussi simples qu’une saveur inconnue, une musique inattendue, un parfum de femme retrouvé, qui peuvent rendre inoubliable une ville entraperçue et ancrer dans la mémoire le nom d’une rue portant un paysage anodin aux limites de la perception parfaite.

traduit de l’espagnol (Uruguay) par Annie Morvan

Llegó por los rieles cualquier domingo del último noviembre subido en el tren de las 23.47 que viene de Paris. Ninguna persona lo esperaba a lo largo del andén, ni en el vestíbulo, ni en la ciudad donde por fin entraba. Fue de los últimos en bajar del vagón y trepar a la estación llevado por una escalera mecánica lenta y amarilla. A esa hora los abrazos de recibimiento son apenas cordiales y manotear el equipaje de los recién llegados es un acto reflejo de las manos que esperan ; desde un ingreso silencioso el hombre observó la prisa de los otros por ubicar los automóviles estacionados en las inmediaciones, la urgencia de una mujer para conseguir línea en las cabinas telefónicas de la sala de espera y comunicar un arribo sin inconvenientes. En contrapeso al progresivo desprendimiento de los desconocidos compan eros del viaje de dos horas y media creyó estar en un momento importante de su vida y se dejó convencer de ello por sutiles magias superpuestas en una ciudad a la que se llega por primera vez ; pero como esas convicciones nunca se sostienen por razones evidentes de aprehensión inmediata, evitó disfrutar exageradamente la idea de prodigios posibles y optó por guarecerse en una prudencia adecuada a su condición de extranjero, admitiendo de buen grado la ventaja de llegar a un lugar en horas de la noche que agrega otra textura a la idea de destino y tolera especular sobre lo imprevisto que puede suceder maiíana expectativas sencillas como un sabor desconocido, una música inesperada, un recurrente perfume de mujer, capaces de hacer inolvidable una ciudad de paso y encallar en la memoria el nombre de una calle llevando un paisaje anodino al límite de la percepción perfecta.