Extrait Alberto NESSI
Alberto NESSI
Algues noires
traduit de l’italien par Jean-Baptiste Para et Mathilde Vischer
ISBN 2-911686-16-0
2003
10 €
Je me penche à la fenêtre et vois une échelle immense pointée vers le haut, sorte de spectre technologique comme surgi de la nuit, qui tente maladroitement de conquérir le ciel. Je ne m’attendais pas à cette apparition soudaine. Il y a un instant à peine, on voyait encore le pont et, sur la butée, un Bédouin esquissé à la peinture acrylique. Et maintenant ce spectre vertical, qui emporte bien cinquante mètres de route.
Puis, voici que la drague illuminée avance lentement dans l’écluse, chargée de grues, de treuils et de tuyaux ; les marins lancent les cordes sur le quai. Dans le vrombissement des moteurs, les ordres secs de la manoeuvre. Pendant ce temps, des fleurs métalliques tremblent légèrement plus bas, projetant de timides ombres sur le ciment. Pas de tempête cette nuit, me semble-t-il.
Lorsque je me penche une nouvelle fois à la fenêtre, la drague n’est plus là. Le pont tournant est en place et le Bédouin kitsch observe à nouveau le firmament.
Le port est le lieu de la surprise et de l’attente. Les mouettes, elles, y sont habituées, et semblent à leur aise : elles dansent, se poursuivent, saluent, font les idiotes, sont contentes de vivre.
À l’autre fenêtre maintenant, la lumière, qui semblait déjà à l’agonie, est devenue plus intense et colore l’occident de pêche, de cendre et de turquoise. C’est la lumière de l’Atlantique, qui cet après-midi m’éblouissait par sa transparence et qui à présent semble ne jamais vouloir mourir.
Comme l’océan change de couleurs Quand le mauvais temps arrive, il devient d’un vert glauque, marbré d’écume, tandis que le vent domine, « rappelle un fracas de lames » (Montale), soulève des tourbillons de feuilles entre les platanes des boulevards, malmène les mouettes et les rares passants, fait vibrer les panneaux de signalisation, hurle vers les hauteurs par les escaliers, le long des fenêtres, et m’empêche d’ouvrir la porte qui donne sur la rue. Mais ce n’est que le hors d’œuvre, me dit Krzysztof. Le plus beau reste encore à venir.
De ma fenêtre, je vois les vagues qui donnent l’assaut au vieux phare, devant le quartier du Petit Maroc. Je pense alors aux hommes que j’ai vus ce matin, au bistrot. L’un, maigrelet, sinistre, avec un vieux blouson de laine et trois paquets de Camel sur la table. L’air d’un santon muet, malade de solitude. Qui refuse le monde. Au bistrot, grand silence. Le même silence qui régnait dans les rues de cette ville, détruite pendant la dernière guerre et reconstruite dans les années cinquante.
Je pense à Krzysztof qui, au contraire, aime parler. Joueur de football professionnel venant de Pologne, il est arrivé en France dans les années quatre-vingt et y est resté. D’abord Paris ; mais il n’aime pas les métropoles, où tout le monde marche en hâte sans se regarder. Il préfère Saint-Nazaire, ville plus humaine, même si elle est assiégée par la mélancolie comme certains paysages urbains d’Edward Hopper.
Je pense à l’autre garçon blond déjà ivre à neuf heures du matin qui, de sa voix fausse, tentait d’accompagner la chanson qui passait à la radio. Maintenant c’est vraiment la tempête. Un grondement sourd et continu, accompagné de sifflements et de bourrasques. Une mouette passe devant ma fenêtre, comme un tissu chiffonné par le vent équinoxial. La pluie, tombant en rafales, dessine d’éphémères voiles dans l’air. Il n’y a plus d’horizon : la mer se confond avec le ciel. Seule la drague reste immobile dans l’estuaire : la vieille drague experte en tempêtes. Elle qui connaît tout ce que nous ne voyons pas. Elle qui sonde les profondeurs, comme celui qui écrit.
traduit de l’italien par Jean-Baptiste Para et Mathilde Vischer
Mi affaccio alla finestra e vedo un’enorme scala puntata verso l’alto, una specie di spettro tecnologico generato dalla sera che tenti goffamente la conquista del cielo. Non me l’aspettavo, così d’improvviso. Fino a un momento fa c’era il ponte con un beduino in colori acrilici dipinto sulla testata. E ora lo spettro in verticale, che si è preso con sé cinquanta metri di strada.
Poi, ecco la draga illuminata che avanza lenta nella chiusa, carica di gru argani tubi i marinai lanciano le corde sulla banchina. Nel rombo dei motori, gli ordini secchi della manovra. Intanto i fiori di latta qui sotto tremano appena, proiettando ombre timide sul cemento. Niente tempesta stanotte, credo.
Quando mi affaccio di nuovo, la draga non c’è più. Il ponte è di nuovo al suo posto e il beduino kitsch ha ripreso a scrutare il firmamento.
Il porto è il luogo della sorpresa e dell’attesa. I gabbiani, loro, ci sono abituati e sembrano a loro agio : danzano, si rincorrono, salutano, fanno gli stupidi, sono contenti di vivere.
Ora la luce, che già pareva in agonia, ha ripreso forza all’altra finestra e cobra l’occidente di pesca, di cenere e di turchese. È la luce dell’Atlantico, che oggi pomeriggio mi abbagliava di trasparenza e che ora sembra non voler morire mai.
L’Oceano, come cambia di colore. Quando arriva il maltempo, diventa verde marcio e si stria di schiume, mentre il vento tiene banco, "ricorda un forte scotere di lame" (Montale), solleva turbini di foglie fra i platani dei boulevards, maltratta i gabbiani e i radi passanti, fa vibrare i cartelli stradali, urla su per le scale e lungo le finestre, mi impedisce di aprire la porta che dà sulla strada. Ma questo è solo l’hors d’œuvre, mi dice Krzysztof. Il bello ha ancora da venire.
Dalla mia finestra vedo le onde che danno l’assalto al vecchio faro, davanti al quartiere del Petit Maroc. Intanto penso agli uomini che ho visto stamattina, al bar. Uno magrissimo, funereo, con un vecchio giubbotto di lana e tre pacchetti di Camel sul tavolo. L’aria di un santone muto, di un malato di solitudine. Di chi rifiuta il mondo. Nel bar c’era un gran silenzio. Un silenzio che ho trovato anche per le vie di questa città, distrutta durante l’ultima guerra e ricostruita negli anni Cinquanta.
Penso a Krzysztof, che invece ama parlare. Giocatore di calcio professionista proveniente dalla Polonia, è arrivato in Francia negli anni Ottanta e ci è rimasto. Dapprima a Parigi ma lui non ama la metropoli dove tutti camminano in fretta senza guardarsi. Preferisce Saint-Nazaire, città più umana, anche se assediata dalla malinconia come certi paesaggi urbani di Edward Hopper.
Penso all’altro ragazzo biondo già ubriaco alla nove del mattino, al suo tentativo di accompagnare, con la voce stonata, la canzone che veniva dalla radio.
Ora è davvero tempesta. Il bordone si è fatto continuo, accompagnato da sibili e da rabbie improvvise. Un gabbiano passa davanti alla mia finestra, come uno straccio strapazzato dal vento equinoziale. La pioggia, sconvolta, forma effimeri veli nell’aria. L’orizzonte non c’è più : il mare si fonde con il cielo. Solo lei, la draga, sta ferma nell’estuario : la vecchia draga esperta di tempeste. Lei che conosce tutto ciò che noi non vediamo. Lei che scandaglia i fondali, come chi scrive.