Extrait Juan Carlos LEGIDO

Juan Carlos LEGIDO
Le tunnel vertical
traduit de l’espagnol (Uruguay) par Christophe Josse
ISBN 2-903945-60-8
1997
16 €

1 - ANTÉCÉDENTS

Bonifacio Almeyda se présentait au club à la tombée du jour et buvait une ou deux grappas, debout au comptoir posé, taciturne et légèrement de biais, comme pour rester ouvert à l’entourage malgré son isolement, il parlait à peine et passait inaperçu au milieu des clients qui hurlaient sans arrêt autour des jeux de cartes et des terrains de boules. À vrai dire, dès qu’il sortait, une demi-heure plus tard, trois quarts d’heure tout au plus, on avait bien du mal à conserver de lui un souvenir précis, sans doute en raison du fait qu’il se distinguait peu des personnes vieillissantes que l’on croisait dans ce quartier de gens modestes et d’ouvriers. Je savais qu’il s’appelait Bonifacio Almeyda, non pas qu’il me l’eût dit, car il n’ouvrait la bouche qu’en arrivant et en partant afin de lancer un « salut » neutre et générique, mais pour l’avoir appris par le gérant du bar qui savait également que l’homme venait du nord, qu’il logeait seul dans une pension non loin du club et qu’il avait travaillé pour le ministère des Travaux publics.
Comme j’avais peu d’occupations à l’époque et que l’homme m’intriguait, sans doute par son mutisme opiniâtre et parce qu’au-delà de son air insipide et bourru, je croyais deviner un furieux bouillonnement intérieur, comme une tension secrète prompte à se décharger, je priai le gérant de m’en dire davantage.

traduit de l’espagnol (Uruguay) par Christophe Josse

1 - LOS ANTECEDENTES

Bonifacio Almeyda llegaba al club al ponerse el sol y se tomaba un par de grapas de pie frente al mostrador ; pausado, ceñudo, un poco sesgado como quien manteniéndose solitario no quiere permanecer ajeno a lo que sucede a su alrededor, y apenas hablaba y se hacía notar entre la concurrencia que no dejaba de vociferar en las canchas de bochas y en las mesas de truco. La verdad que uno apenas podía recordalo en cuanto salía de allí media hora, a lo sumo tres cuartos de hora después, acaso porque nos se diferenciaba demasiado de las personas ya entradas en años que podían encontrarse en aquel barrio de obreros y de gente humilde. Sabía que se llamaba Bonifacio Almeyda no porque me lo hubiera dicho él, que apenas abría la boca sino para saludar a la entrada y a la salida con un genérico y nada comprometido « buenas », sino por el concesionario del bar, que también se informó que el hombre venia del norte, que vivía solo en una pensión cercana al club y que en una época había sido empleado del Ministerio de Obras Públicas.
Como yo en aquella época tenía muy pocas cosas en qué ocuparme y aquel hombre, acaso por su empecinado silencio y porque detrás de su taciturno e insulso aspecto creía adivinar muchas cosas que le bullían por dentro, como una agazapada tensión que en cualquier momento podía desbordarse, insistí para que el concesionario me ampliara la información.