Extrait Salah STÉTIÉ
Salah STÉTIÉ
La parole et la preuve
ISBN 2-903945-27-6
1996
20 €
AVANT-DIRE
Le vent vous prend par les épaules et il vous pousse. Devant vous, c’est la mer. Derrière vous il y a toutes les paroles que vous avez dites avec plus ou moins de conscience, plus ou moins de conviction, en touchant plus ou moins à la vérité qui, elle aussi, flotte assez terriblement désarrimée dans le vent – son vent à elle, qui est encore plus terriblement le vent. C’est cela que je me répète à l’envi, ici à Saint-Nazaire, face à l’Atlantique qui, invisiblement, dans son espace où va et vient l’air géant comme sur une scène de théâtre faite pour lui, dévore toutes nos paroles.
J’ai parfois, dans ma vie, parlé. En marge du fait d’écrire, qui est l’occupation habituelle de l’écrivain, j’ai été interrogé et sollicité de répondre. Comme si, vraiment, je savais ! J’ai pourtant répondu avec les moyens du bord. L’expérience, la culture, l’expérience au sein de la culture, la culture venue amplifier les intuitions de l’expérience, le regard sur les autres et sur moi-même, tout cela m’a peut-être aidé, en partant de mes écritures poétiques et analytiques, à formuler autour de la poésie en général, autour quelquefois de ma poésie ou de ce qui l’aura accompagnée en miroir, un certain nombre de pensées, parfois simples, d’autres fois moins simples, le tout dit dans le langage le plus proche possible de l’intelligence des choses et des mots. Et si, parfois, il arrive que je me répète, c’est parce que certaines idées, certains énoncés, certains thèmes constituent chez moi des permanences qu’il n’est peut-être pas inutile ni insignifiant de voir surgir et resurgir d’un propos à l’autre.
J’écris – ceux qui m’ont lu et me lisent le savent – depuis déjà longtemps plus de trente ans, et plus d’une trentaine de livres. J’ai, assez vite, été mis à l’épreuve des questions et des réponses, laquelle n’est peut-être qu’un jeu. Un jeu au demeurant assez grave comme le sont tous les jeux, j’entends ceux qui, engageant l’enfance – la poésie en est un – tirent à quelque conséquence. Marelles sur le parvis est le titre qui fut choisi par mon maître Gabriel Bounoure, à qui l’ensemble de ces propos est dédié, pour intituler son livre-phare sur, précisément, la poésie. Oui jeu. C’est je aussi, celui qui répond. Dans tout ce qui est dit dans ces entretiens, qui ont eu lieu sur un quart de siècle, avec différents interlocuteurs et dans des circonstances diversifiées, il y a quelqu’un, moi en l’occurrence, qui est impliqué – pour le meilleur et pour le pire. Si pire il y a – comment parler de la poésie sans errer à la manière des nuages, mais est-ce vraiment un pire ? –, peut-être me le pardonnera-t-on au bénéfice, par-ci par là, d’une touche heureuse, d’une pluie tombée pour vivifier l’imagination de la parole. De cette pluie, je rends grâce à mes interlocuteurs, tous gens de talent. Ce sont eux les véritables auteurs de ce livre dont je ne suis que le fil conducteur. Cela dit, je ne sais pas si ce livre « conduit » et s’il mène ailleurs qu’à la formulation par l’homme que je suis – obsédé de poésie et c’est énoncer aussi bien qu’il est obsédé de destin – d’autres interrogations en réponse aux interrogations qui lui furent adressées.
… Seul le vent, je le dis comme je le pense, est porteur de réponse.
Salah Stétié
Saint-Nazaire, le 17 février 1996