Extrait Luis GOYTISOLO

Luis GOYTISOLO
Le groupe de Barcelone
traduit de l’espagnol par Christophe Josse
ISBN 2-903945-37-5
1990
7 €

S’éloigner pour mieux voir, comme il fut si justement écrit. Une invitation à Saint-Nazaire de la Maison des Écrivains et des Traducteurs, même si je n’ai pu pleinement en profiter, m’a facilité cet éloignement. A cet égard, l’estuaire de la Loire, ce fleuve vertébral de la France, est devenu ma tour de guet, propice à la contemplation de certains aspects de la vie culturelle espagnole qui, à l’image des mouettes survolant le port sous mes yeux, ont survolé mes pensées ces dernières semaines ; suite, plus exactement, à la mort de Carlos Barral et de Jaime Gil de Biedma survenues en l’espace de moins d’un mois. Je parle de la nécessité d’écrire un texte, ne seraient-ce que ces quelques lignes, pour décrire un phénomène d’effervescence culturelle qui s’est produit à Barcelone au début des années soixante et qui risquerait, si on ne l’évoquait pas, de rester méconnu jusqu’à ce qu’un beau jour certain hispaniste français, nord-américain ou autre décide de se pencher sur la question. Le phénomène ayant été occulté entre-temps par ses protagonistes, on retiendrait alors, comme un fait isolé, qu’une poignée d’individus - poètes, éditeurs, romanciers - nés ou formés à Barcelone, avaient ouvré durant une période déterminée : voilà tout. Seulement voilà, ce n’est pas tout. À l’évidence, c’est bien ainsi que l’a compris Carme Riera en choisissant d’axer sa thèse de doctorat sur trois poètes - Jaime Gil de Biedma, Carlos Barral et José Agustin Goytisolo - appartenant à ce qu’elle dénomme l’École de Barcelone ; une école qui, comme chacun sait, n’a du reste pas fait école, les éventuels disciples ayant plutôt pris le chemin de Byzance, Venise ou Alexandrie. Toutefois, les poètes de Barcelone ne représentent qu’une facette du phénomène. Outre les poètes étudiés par Carme Riera, il faut considérer les romanciers, les critiques d’art et de littérature, les éditeurs et mêmes les architectes. Un véritable holding culturel sans équivalent en Espagne ; et, qui plus est, un phénomène sans lequel la culture espagnole de l’après-guerre n’aurait pas été ce qu’elle fut ni ce qu’elle est encore à présent.

traduit de l’espagnol par Christophe Josse

Alejarse para ver mejor, como bien escribió alguien. Una invitación de la Maison des Écrivains et Traducteurs en Saint-Nazaire, por más que no me haya sido posible aprovecharla enteramente, me ha facilitado ese alejamiento. Y, en este sentido, el estuario de ese río vertebrador de Francia que es el Loire se ha convertido en atalaya privilegiada para contemplar algunos aspectos de la vida cultural espanola que, como las gaviotas que sobrevuelan el puerto ante mis ojos, han venido sobrevolando mis pensamientos durante las últimas semanas ; para ser exactos, a partir de la muerte de Carlos Barral y de Jaime Gil de Biedma en un intervalo inferior al mes. Me refiero a la necesidad de escribir algo, aunque sólo estas pocas líneas, acerca de un feómeno de efervescencia cultural que se dio en Barcelona al filo de los aiíos sesenta y que, de no hacerlo, correría el riesgo de pasar inadvertido hasta que, en el futuro, algún hispanista francés, norteamericano o de donde sea, tuviese la idea de dedicarle su atención. Entre tanto, oculto el fenómeno por sus protagonistas, quedaría constancia, a modo de dato aislado, de que tal o cual persona - poeta, editor, novelista -, nacida o formada en Barcelona, había desarrollado sus actividades durante determinadas fechas : eso hubiera sido todo. Solo que eso no es todo. Así lo entendió sin duda Carme Riera al centrar su tesis doctoral en tres poetas - Jaime Gil de Biedma, Carlos Barral yjosé Agustín Goytisolo - pertenecientes a lo que ella denomina la escuela de Barcelona ; una escuela que, por otra parte, como bien sabemos, no hizo escuela los eventuales discípulos tomaron más bien el rumbo de Bizancio, Venecia o Alejandría. Con todo, los poetas de Barcelona no son más que una faceta del fenómeno. Junto a los poetas estudiados por Carme Riera, hay que considerar los novelistas, los críticos literarios y de arte, los editores y hasta los arquitectos. Un verdadero holding cultural sin equivalente en Espana y, lo que es más, un fenómeno sin el cual la cultura espan ola de la postguerra no hubiera sido lo que fue ni lo que aún ahora es.