Extrait Ricardo PIGLIA

Ricardo PIGLIA
Une rencontre à Saint-Nazaire
traduit de l’espagnol (Argentine) par Alain Keruzoré
ISBN 2-903945-49-7
2006
8 €

I

Je suis revenu à Saint-Nazaire pour retrouver Stephen Stevensen. Peut-être ne devrais-je pas écrire « Je suis revenu », ni « J’ai décidé de revenir ». Peut-être devrais-je écrire que lui a décidé de mon retour à Saint-Nazaire pour que je puisse le rencontrer. Ou ne pas le rencontrer ? (Lui, c’est Stephen Stevensen.)
« Je suis petit-fils et arrière-petit-fils de marins », me dit-il un jour. « Seul mon père a refusé la mer, et c’est bien pour cela qu’il vécut toute sa vie avec la même femme, et mourut misérablement dans un hospice, à Dublin. » (Le père de Stevensen avait rejeté l’idée d’entrer dans la marine britannique, brisant ainsi une très ancienne tradition familiale, pour se consacrer au commerce des peaux. Sa mère était d’origine polonaise. Une femme sarcastique et élégante, qui passait ses étés à Malaga... ou au British Museum.)
Jamais je n’ai connu un homme qui parlât comme Stephen Stevensen. Toutes les langues étaient sa langue maternelle. Je pense parfois que c’est ce qui m’a poussé à croire à l’histoire qu’il m’a racontée et à venir ici, à Saint-Nazaire. Mais si cette histoire n’est pas vraie, alors Stephen Stevensen est un philosophe et un magicien, l’inventeur clandestin d’autres mondes, comme Fourier ou Macedonio Fernandez.

traduit de l’espagnol (Argentine) par Alain Keruzoré

I

He vuelto a Saint-Nazaire para encontrar a Stephen Stevensen. Pero quizás no debo escribir « He vuelto » o « He decidido volver ». Quizás debo escribir que él ha decidido que yo vuelva a Saint-Nazaire para encontrarlo. ¿O para no encontrarlo ? (El es Stephen Stevensen.)
« Soy nieto y biznieto y tataranieto de marinos », me dijo un día. « Sólo mi padre rechazó el mar y por eso vivió toda la vida con la misma mujer y murió miserablemente en un hospicio, en Dublín ». (El padre de Stevensen se había negado a entrar en la marina británica quebrando una antiquísima tradición familiar y se había dedicado al comercio de pieles. La madre era de ascendencia polaca. Una mujer sarcástica y elegante que pasaba los veranos en Málaga, o en... el British Museum).
Nunca conocí a un hombre que hablaba como Stephen Stevensen. Todas las lenguas eran su lengua materna. A veces pienso que por eso le creí la historia que me contó y por eso estoy aquí, en Saint-Nazaire. Pero si la historia que me contó no es verdadera entonces Stephen Stevensen es un filósofo y un mago, un inventor clandestino de mundos como Fourier o Macedonio Fernández.