Extrait Raúl AGUIAR

Raúl AGUIAR
La guerre n’est pas finie
traduit de l’espagnol (Cuba) par Françoise Garnier
ISBN 978-2-911686-53-5
2008
15 €


La mort, pour Orlando, c’est comme être couché au fond d’un cratère lunaire, à regarder l’espace noir, très noir, sans jamais pouvoir se lever, être pour l’éternité derrière toutes les fenêtres, s’ouvrir à la nuit noire sans étoiles, glace noire qui gèle les artères, alors il sent la chair de poule envahir ses jambes et le vertige le gagner, lui comprimant l’aine, et il serre le fusil qui maintenant fait partie de son corps, un second cœur qui le maintient en vie, une dimension supérieure à la sexualité mise à l’épreuve dans chaque parcelle de sueur et de peur que répriment tous les hommes de la brigade, même les chefs, et il se demande ce que, putain, il est venu faire ici, comment du jour au lendemain on a pu lui arracher sa liberté — comme un vêtement déchiré en pleine rue — ces rues fantômes peuplées de nébuleux amis aux cheveux longs et de jeunes filles hivernales dans le cinéma Yara, que le hasard plaçait à ses côtés et lui, qui brandissait des guitares imaginaires, battant la mesure à grands coups de tignasse échevelée, les jambes flageolantes sous les lampes des bleus qui lui réclament ses papiers, qui réclament les menottes, et alors là maintenant il y a quelqu’un — juste cela, un Quelqu’un sans carte d’identité, et qui s’appelle Orlando — assis sur la banquette arrière d’une camionnette qui fonce sur la route — plus on va vite, moins on pèse sur la route — et, le pire c’est que ce quelqu’un c’est lui, paniqué à l’idée qu’à tout moment n’explose une mine non détectée par les sapeurs, et entre ses mains le AK, glissant de sueur glacée tant il est facile de s’enfoncer à tout moment dans la Non-existence, à des milliers de kilomètres d’un Coppelia, ou d’une Betty toute nue, et l’Atlantique au beau milieu et lui, ici, se prenant pour un poète métaphysique. Quelle saloperie !

Traduit de l’espagnol (Cuba) par Françoise Garnier

Orlando imagina la muerte como estar acostado en el fondo de un cráter lunar, mirando el espacio negro, muy negro, sin poder levantarse jamás, eternamente detrás de todas las ventanas, abriéndose a la noche fría sin estrellas, hielo negro congelando las arterias, y entonces siente cómo se le erizan las piernas y le asoma el vértigo punzándole la ingle y aprieta el fusil que ahora es una pieza más de su cuerpo, un segundo corazón que lo mantiene con vida, una talla mayor a la sexualidad puesta a prueba en cada porción de sudor y miedo reprimida por todos los hombres de la brigada, incluidos los jefes, y se pregunta qué coño ha venido a hacer aquí, cómo permitió que le arrebataran la libertad de un día para otro –como un traje rasgado en medio de la calle– esas calles fantasmas llenas de amigos brumosos de pelo largo y muchachas de invierno en el cine Yara, que la casualidad sentaba a su lado para accionar guitarras imaginarias al compás del pelo revuelto disparado y piernas asustadas frente a las luces de los lectores azules pidiendo carné, pidiendo manillas, pero ahora hay alguien –sólo eso, un Alguien sin carné de identidad, llamado Orlando– sentado en el asiento trasero de una camioneta que avanza volando sobre la carretera –a más velocidad, menos peso sobre el pavimento–, y lo peor del caso es que ese alguien es él, temiendo a cada momento la explosión de una mina no detectada por los zapadores, y sus manos sostienen el AK que resbala de sudor frío por lo sencillo que resulta penetrar en la No existencia en cualquier instante, a miles de kilómetros de un Coppelia, de una Betty desnuda cualquiera, todo el Atlántico por medio y él aquí de poeta metafísico. ¡Qué asco !