Extrait Se donner un genre
Le « moi » traduit
L’écriture est toujours une sorte de traduction. Non pas d’une langue vers une autre, mais de la solitude de la conscience vers l’espace commun de la langue. En trouvant des mots pour la dire, je traduis ma réalité intérieure et deviens, par le même mouvement, un « moi ». Ce n’est que dans la communauté de la langue que je prends conscience de ma solitude originelle. Les mots éclairent le seuil qui me sépare des autres en même temps que je le franchis.
On pourrait discuter pendant des heures de la nature de ce précieux « moi » ; est-ce seulement une construction, un phénomène social et
culturel ? Mais c’est une discussion pour les philosophes et non pas pour les romanciers. Ni le « pourquoi » ni le « d’où » de la philosophie ou de la sociologie ne m’intéressent. Les phénomènes existants du quotidien me suffisent, qu’ils soient illusoires ou non. Les illusions constituent d’ailleurs un thème en soi ; le trompe-conscience, les attentes diffuses, les paraphrases cosmétiques et les omissions de la mémoire. Ce qui m’intéresse c’est de quoi elle a l’air, la vie, comment elle résonne. Je ne la connais que de mon propre point de vue ainsi que de celui d’autres gens. Un point de vue certes limité, mais en revanche focalisé.
Chaque focalisation implique une délimitation. On est toujours justement ici, pas là, maintenant et pas à l’époque ou il y a peu de temps. Mon « moi » est toujours à la fois historique et existentiel, et on peut dire la même chose au sujet du roman.
Quand j’écris, je m’empare, et ce sans en avoir demandé la permission à qui que ce soit, du langage transmis de la société pour l’utiliser à mes fins personnelles. Pour un temps, les mots perdent leur poids officiel, ils ne sont plus des pétrifications du savoir et des expériences des générations. Au moment même où je commence à faire miens ces mots communs, ils deviennent aussi fragiles, ambigus et légers que l’expérience individuelle qui n’est encore qu’une émotion. Mais au fur et à mesure que le récit prend forme, je rends les mots au langage, aux autres, à la société si on veut. L’émotion se transforme en une expérience, un témoignage fictif. Et je deviens moi-même histoire, qu’on se souvienne ou non de mon petit livre. C’était ainsi de vivre justement à cet endroit-là, justement à cette époque-là. C’était ainsi pour quelqu’un, pour moi.
Traduit du danois par Janine et Karl Ejby Poulsen.
Det oversatte “jeg”
At skrive er altid en slags oversættelse, ikke fra et sprog til et andet, men fra bevidsthedens enrum til sprogets fælles rum. Jeg oversætter min indre, uudtalte virkelighed, idet jeg finder ord for den, og bliver i samme bevægelse et “jeg”. Først i sprogets fællesskab erfarer jeg min oprindelige ensomhed. Ordene belyser tærsklen mellem mig og de andre, samtidig med at jeg overskrider den.
Man ville kunne diskutere længe, om dette dyrebare “jeg” blot er en konstruktion, et socialt og kulturelt fænomen, men det er en diskussion for filosoffer, ikke for romanforfattere. Jeg er ikke interesseret i filosofiens eller sociologiens “hvorfor” eller “hvorfra”. Jeg har nok i hver-dagens foreliggende fænomener, illusoriske eller ej. For resten er illusionerne i sig selv et tema ; selvbedraget, de vidtløftige forhåbninger, erindringens forskønnende omskrivninger og udeladelser. Det inte-resserer mig, hvordan livet ser ud, hvordan det lyder, og jeg kender det kun fra min egen og andres begrænsede, men til gengæld fokuserede synsvinkel.
Ethvert fokus har begrænsningen som forudsætning. Man er altid netop her, ikke dér, lige nu og ikke dengang eller for lidt siden. Mit “jeg” er på én gang historisk og eksistentielt, og det samme kan man sige om romanen.
Når jeg skriver, lægger jeg, uden at have spurgt nogen om lov, beslag på samfundets overleverede sprog for at bruge det til mine personlige formål. Ordene mister for en stund deres officielle pondus, de er ikke længere kompakte forsteninger af generationers viden og erkendelse. De bliver lige så skrøbelige, tvetydige og vægtløse som den individuelle oplevelse, der endnu kun er en følelse, idet jeg begynder at gøre de fælles ord til mine. Men efterhånden som fortællingen tager form, giver jeg ordene tilbage til sproget, de andre, samfundet, om man vil. Følelsen forvandles til erfaring, et vidnesbyrd i fiktiv form, og jeg bliver selv historie, uanset om man vil huske eller glemme min lille bog. Sådan var det at leve netop dér, netop da. Sådan var det for nogen, for mig.
Du genre traditionnel au bric-à-brac
Nous savons tous que les genres littéraires existent, mais nous avons du mal à nous mettre d’accord sur leur nombre, leur nature, leurs limites et leur utilité. Dans une étude récente sur les goûts en matière de lecture commandée par la corporation espagnole des Libraires, on détaille jusqu’à dix-huit types de romans : Romantiques, Guerriers, Policiers, Historiques, Dramatiques, Autobiographiques, Érotiques, Picaresques, Existentialistes-psychologiques, de Mœurs, d’Horreur, de Science-fiction et Fantastiques, Humoristiques, de Conspiration et Mystère, d’Aventures, Sociopolitiques, Best-sellers et, enfin, Prix littéraires.
Il s’agit d’un classement singulier et excessivement douteux, en effet il fait, par exemple, des prix littéraires un genre en soi et rassemble sous la même catégorie des choses aussi différentes que la science-fiction et le fantastique. À quoi se réfèrent les libraires lorsqu’ils parlent de fantastique ? Au Seigneur des anneaux et toute la clique des imitations ou à quelqu’un comme Kafka ? Et, de toute façon, qu’ont à voir des ogres velus et casqués ou un scarabée appelé Gregor Samsa avec la science-fiction pure et dure, avec le courant métaphysico-technologique d’un Asimov ou d’un Clarke ?
La partie de l’étude qui étudie les goûts des lecteurs en fonction de leur sexe est plus intéressante. Il semblerait que les romans préférés des hommes soient les romans historiques (46 %), suivis par les romans d’aventures (30 %), des résultats très proches de ceux des femmes, qui choisissent aussi d’abord les œuvres historiques (38 %) et ensuite, légère variante, les livres de mystère et conspiration (31 %). Mais la chose commence à devenir plaisante, quand on aborde la question des aversions : les romans que les hommes apprécient le moins sont les romans romantiques (47 %), tandis que les femmes détestent surtout les romans d’horreur (34 %) et, dans une moindre mesure, la science-fiction et le fantastique (27 %).
Traduit de l’espagnol par Françoise Garnier.
Del género histórico al batiburrillo
Todos sabemos que los géneros literarios existen, pero es muy difícil ponerse de acuerdo sobre cuántos son, qué son, cuáles son sus límites y para qué sirven. Hay un reciente estudio sobre gustos de lectura del Gremio de Libreros de España en donde se especifican hasta dieciocho tipos de novelas : Románticas, Bélicas, Policíacas, Históricas, Dramáticas, Autobiográficas, Eróticas, Picarescas, Existencialistas/Psicológicas, Costumbristas, de Terror, de Ciencia ficción/Fantásticas, de Humor, de Intriga/Misterio, de Aventuras, de Problemas socio-políticos, Best-sellers y, por último, Premios Literarios.
Es una división peculiar y harto dudosa, porque, por ejemplo, hace de los premios literarios un género en sí mismo, y une en una sola categoría cosas tan diversas como la ciencia ficción y la fantasía. ¿A qué se refieren los libreros cuando hablan de fantasía ? ¿Al Señor de los anillos y toda la peste de secuelas similares, o a alguien como Kafka ? Y, en cualquier caso, ¿qué tienen que ver unos pseudo ogros peludos y con yelmo o un escarabajo llamado Gregorio Samsa con la ciencia ficción pura y dura, con la vertiente metafísico tecnológica de un Asimov o un Clarke ?
Es más interesante la parte del estudio que divide los gustos lectores según el género sexual de las personas. Al parecer, las novelas que prefieren los hombres son las históricas (46%), seguidas por las de aventuras (30%), unos resultados bastante parecidos a los de las mujeres, que también escogen en primer lugar obras históricas (38%) y luego, pequeña variación, los libros de misterio e intriga (31%). Pero donde la cosa empieza a ponerse divertida es en la parte de los odios : las novelas que menos les gustan a los hombres son las románticas (47%), mientras que las mujeres detestan sobre todo las novelas de terror (34%) y, en menor medida, la ciencia ficción y la fantasía (27%).