Claire Cayron

Claire Cayron, traductrice de littérature portugaise et brésilienne, est morte à Paris mardi 2 juillet, à l’âge de 67 ans. Elle avait surtout attaché son nom à celui du grand écrivain portugais Miguel Torga, dont elle fit découvrir l’oeuvre en France.

Née le 12 avril 1935, Claire Cayron avait soutenu une thèse de doctorat sur Simone de Beauvoir (éditée chez Gallimard en 1973). Elle était maître de conférences de littérature comparée à l’IUT des métiers du livre de l’université Bordeaux-III. A ce titre, elle contribua à la formation de nombreux libraires. Mais c’est d’abord dans le domaine de la traduction qu’elle se fit connaître, notamment au sein de l’ATLAS (Assises de la traduction littéraire en Arles), dont elle fut la cofondatrice. Loin de se limiter à la défense d’une corporation mal aimée, ses efforts portaient sur la nécessaire reconnaissance de la dimension intellectuelle et spirituelle de la traduction. Elle aimait d’ailleurs citer George Steiner et Maurice Blanchot. Ce dernier ne s’était-il pas démarqué de toute conception utilitariste en écrivant : "On ne voit pas pourquoi l’acte du traducteur ne serait pas apprécié comme l’acte littéraire par excellence" ? Acte d’émancipation plus que de conservation linguistique, la traduction était pour elle "acte d’écriture".
La découverte de l’oeuvre de Miguel Torga en 1973 donna à ce que Claire Cayron nommait sa "passion lusophone" une occasion de s’exercer pleinement. Médecin à Coïmbra, opposant déterminé à la dictature salazariste, moraliste et chantre de sa terre portugaise, Torga trouva en Claire Cayron non seulement une traductrice, mais la lectrice critique et l’interprète fidèlement sourcilleuse dont tous les écrivains ont pu un jour rêver. A partir de 1982, et durant une quinzaine d’années, elle se voua entièrement à ce travail avec un
exclusivisme farouche. Cela eut pour heureuse conséquence de fournir aux lecteurs français une version non seulement fiable, mais encore unifiée et cohérente, une véritable re-création en somme, des romans et nouvelles, du journal et des poèmes de l’écrivain mort en 1995. Ses traductions de Miguel Torga - son oeuvre pratiquement complet - sont publiées ou reprises par les éditions José Corti. Cette "fonction critique" et interprétative, Claire Cayron l’appliqua aussi, à partir de 1987, à d’autres auteurs, toujours choisis en fonction d’une affinité et d’une connaissance approfondie, Ainsi, elle donna (toujours chez Corti) des versions françaises des principaux livres des Brésiliens Harry Laus et Caio Fernando Abreu.

Patrick Kéchichian (Le Monde, 5 juillet 2002)