Extrait revue meet n°13

Copenhague / Madrid

JAN SONNERGAARD
C’est dur d’être bailli quand votre femme est préfet

C’est le matin, c’est dimanche et le soleil brille comme si c’était le tout premier jour. Mais c’est le troisième et Marie-Louise carbure, ça fait trois jours qu’elle carbure et tout est aussi merveilleux que ça peut l’être, tout est bien, blanc et lumineux, plein d’une lumière qui disparaît parfois derrière des bancs de brume.
Henning marche à côté d’elle. Il a pris sa main dans la sienne et chantonne, mais parfois il se tait et regarde droit devant lui sans que ses yeux ne révèlent quoi que ce soit. Ils sont bleus, incroyablement bleus, d’un bleu pur. Les pupilles sont minuscules et c’est justement ça qui fait ressortir si clairement la couleur des yeux et lui donne cet aspect coloré clair et puissant. Quand Marie-Louise le regarde elle ressent quelque chose de presque religieux  : ces longs cheveux bruns, sa barbe de trois jours et le regard non focalisé de ces yeux clairs et bleus où il n’y a presque pas de pupilles mais seulement un tout petit trou, un point plutôt, par lequel il regarde le monde dehors. Ses longs cheveux roux flottent sur le côté quand ils atteignent le Pont de la Reine Louise, car c’est l’automne et il y a de temps à autre des coups de vent. Marie-Louise ne sait pas si elle est en train d’atterrir de nouveau ou si la fête continue et que ceci fait partie du trip. Mais elle sourit et serre le poing, ou bien elle rajuste le bonnet Billabong, ou bien elle enlève et remet les Ray-Ban. Et rit.

Traduit du danois par Janine et Karl Ejby Poulsen.
Politikens Magasinet, novembre 2007

Det er hårdt at være birkedommer når man har sin kone til amtmand

Det er formiddag og søndag og solen skinner klart, som var dette den første dag overhovedet. Men det er den tredje og Marie-Louise kører, hun kører på tredje døgn, og alt er så fortræffeligt som det kan blive, det er godt og hvidt og fuld af lys, som nogle gange forsvinder ind bag tåger.
Ved siden af hende og med sin hånd i hendes går Henning og nynner, men ind i mellem er han tavs og stirrer frem for sig uden at røbe noget som helst i øjnene, som er klart blå, utroligt blå, en helt ren blå farve. Pupillerne er diminutive og det er netop dét, der får øjenfarven til at stå så klart frem og virke så ufatteligt koloristisk kraftfuld og ren. Når Marie-Louise ser op på ham føler hun noget, der næsten er religiøst : Hans lange mørke hår, skægstubbene, og det ufokuserede blik fra disse klare, klare blå øjne, hvor der næsten ikke er pupiller, men kun et ganske lille hul, nærmest et prik, som han ser ud igennem på verden. Hendes røde lange hår flyver ud til siden da de når Dronnings Louises Bro, for det er efterår og der kommer fra tid til anden vindpust, og Marie-Louise ved ikke om hun er ved at lande igen, eller om festen fortsætter og dette også er en del af trippet. Men hun smiler og knuger hånden, eller også retter hun lidt på Billabong huen, eller hun tager sine Ray-Bans af eller hun tager dem på igen. Og fniser.


IGNACIO MARTINEZ DE PISON

Les Nocturnes

Je l’ai aimée, dit Ramón, Moncho, el Persianas, je l’ai aimée et ce fut une erreur. Je l’ai aimée, répéta Ramón, Moncho, el Persianas, et il attrapa le paquet de Camel tout froissé et dit  : encore une cigarette  ? Nous roulions dans son Iveco d’occasion. Lorena, Ramiro et les autres dormaient au milieu des valises de tenues de scène, des étuis des instruments, des affiches au nom de l’Orchestre Splendid. Nous roulions dans l’Iveco après une énième fête de village et il nous restait deux cents kilomètres de route à faire. De temps en temps une voix endormie, étouffée, protestait  : tais-toi, Persianas, on veut dormir. Mais el Persianas, Moncho, Ramón parlait et parlait sans arrêt, et à vrai dire il valait mieux  : qu’il parle donc autant qu’il voulait si cela lui permettait de lutter contre la fatigue. En fait, les tours de veille servaient à ça. Cette nuit-là c’était mon tour, c’était à moi d’être à ses côtés, à lui faire la conversation, à m’assurer qu’il ne s’endorme pas au volant. Encore une cigarette…, répéta-t-il, cette fois ce n’était pas une question, il porta le paquet à sa bouche et du bout des lèvres en sortit une Camel, et moi je pris dans la boîte à gants un briquet qui se baladait d’un côté à l’autre dans les virages et j’allumai sa cigarette, puis j’en pris une que j’allumai aussi.

Traduit de l’espagnol par Françoise Garnier

Los Nocturnos

Yo la quise, dijo Ramón, Moncho, el Persianas, yo la quise y fue un error. Yo la quise, volvió a decir Ramón, Moncho, el Persianas, y buscó el arrugado paquete de Camel y dijo : ¿Otro cigarrillo ? Viajábamos en su Iveco de segunda mano. Lorena, Ramiro y los demás dormían entre las maletas del vestuario, las cajas con los instrumentos, los carteles con el nombre de la Orquesta Splendid. Viajábamos en la Iveco de regreso del enésimo pueblo en fiestas y teníamos por delante doscientos kilómetros de carretera. De vez en cuando protestaba una voz encallecida : Calla, Persianas, deja dormir. Pero el Persianas, Moncho, Ramón hablaba y hablaba sin parar, y en realidad mejor así : que hablara cuanto quisiera si eso había de servirle para combatir el cansancio. De hecho, para eso estaban los turnos. Para eso estaba yo, que era el que aquella noche iba a su lado, dándole conversación, asegurándome de que no se dormía al volante. Otro cigarrillo..., repitió, ahora sin preguntar, sólo llevándose el paquete a la boca y atrapando un Camel con los labios, y yo cogí de la guantera un mechero que iba de un lado para otro con las curvas y se lo encendí, y luego cogí un cigarrillo y me lo encendí también.