Extrait Miguel Angel CAMPODÓNICO

Miguel Angel CAMPODÓNICO
Homme sans mots
traduit de l’espagnol (Uruguay) par Françoise Campo-Timal
ISBN 2-903945-91-5
1991
13 €

Jamais il n’aurait cru la recevoir un jour. Il est vrai qu’il l’avait attendue comme on attend l’entrée du dernier bateau dans un port ou l’ultime chance de se libérer du siège d’une armée. Mais, cette invitation, il l’avait espérée, simplement parce qu’il la voulait, parce qu’il en avait besoin pour être stimulé.
Comme tous les écrivains, il avait une mère et comme presque tous, un pays. Et il désirait se défaire, ne fût-ce que provisoirement, de ces deux liens qui n’en faisaient qu’un et l’étranglaient. Sacrée besogne, surtout pour quelqu’un comme lui.
Il se lève, éteint sa cigarette, se rassoit, se relève, sort, arpente la place à l’autre bout de la rue, revient chez lui, s’occupe de sa mère, lit la page des catastrophes quotidiennes dans le journal, sort de nouveau se rend chez Julia, revient par la rambla* en scrutant l’horizon, prépare le repas de sa mère, écrit quatre heures durant, avale un café, allume une cigarette, place une couverture sur les pieds de sa mère se couche, fume une autre cigarette dans le noir et se dit, pour la énième fois, qu’un écrivain habitant au dernier étage du monde est immanquablement voué à l’oubli.

Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Françoise Campo-Timal

Nunca creyó que llegara. Es cierto que la esperó como si se tratara del último barco que tocaría aquel puerto y fuera la única esperanza de librarse de un ejército sitiador. Pero era solamente eso, esperaba porque deseaba, porque necesitaba que aquella invitación lo arrastrara.
Como todos los escritores, él tenía una madre y, como casi todos, tenía un país. Y quería desatar, aunque fuera por un tiempo, esos dos nudos que apretaban como si fuera uno solo. Una tarea exceptional, realmente. Sobre todo para alguien como él.
Se pone de pie, apaga el cigarrillo, se sienta otra vez, se levanta y se va, camina por la plaza al otro lado de la calle, regresa a su casa, atiende a su madre, lee en el diario las catástrofes del día, sale nuevamente, va a lo de Julia, hace el camino de vuelta por la rambla escudriñando el horizonte, le prepara la comida a la madre, escribe durante cuatro horas, toma un café y enciende un cigarrillo, le tapa los pies a la madre con una frazada, se acuesta, enciende otro cigarrillo en la oscuridad del dormitorio y vuelve a decirse que no se acordarán de alguien que vive en el piso del mundo.